J’ai analysé le rapport McKinsey sur le métier d’enseignant. On savait qu’il avait couté une blinde mais celui semble également plagié. Cerise sur le gâteau.
Nous pouvons maintenant lire le rapport rédigé par le cabinet de conseil McKinsey « Éclairer les évolutions du métier d’enseignant au XXIe siècle » qui a couté 496 800€ et qui avait fait grand bruit lors de la commission d’enquête sur les cabinets de conseil. Un rapport « confidentiel » et aussi « en cours d’élaboration » d’après la première page du PDF qui m’a été transmis ce 11 janvier 2023 après avoir fait une demande d’accès aux documents administratifs il y a pratiquement un an.
➡️ Télécharger le rapport McKinsey sur le métier d’enseignant
Ce rapport est arrivé comme un cadeau de Noël dans la boite mail de plusieurs journalistes et dans la mienne. Marc Rees, journaliste à L’Informé, avait saisit la CADA et le tribunal administratif sur ces documents mais aussi les factures et le contrat-cadre.
Vaut-il 500 000€ ?
Lorsqu’on ouvre le rapport, on peut être de prime abord impressionné par sa relative longueur et tout ces graphiques. Cependant, on remarquera des pages entières avec des photos pleine page provenant de banque d’images et, sur le contenu, des propositions hors-sol qui sentent bon la startup nation. Le mot « salaires » n’est cité que 4 fois alors que le mot « technologie » est cité 74 fois. Un grand « blabla » selon Marianne.
Pour quantifier toute recherche, j’aime bien la comparer à une thèse de doctorat. Sur la base de 1 769€ bruts mensuels et 3 années de travail, un doctorat couterait un peu moins de 65 000€. En économisant ce rapport à 500 000€, on aurait pu avoir environ 7 doctorats et demi…
Un rapport plagié ?
Ce rapport pose d’autant plus question qu’un travail similaire a été mené par Yann Algan, professeur d’économie et doyen de l’École d’affaires publiques de Sciences Po. Questionné par France Info, il disait avoir utilisé quelques graphiques de McKinsey.
En analysant les deux rapports, on retrouve effectivement plusieurs graphiques similaires dans le rapport de Yann Algan comme dans celui de McKinsey (par exemple « Croissance annuelle du revenu par habitant corrélés aux résultats aux tests standardisés 1970-2015 » ou encore celui sur la « Part des professeurs indiquant pratiquer toujours ou souvent l’enseignement individualisé en lecture 2006-2016 »). Ce qui est plus inquiétant est que l’ont retrouve également des paragraphes très similaires.
Dans cet exemple, on peut voir que cette partie est très largement plagiée. Les paragraphes sont similaires avec seulement quelques reformulations. On aurait pu croire a des citations prises dans les mêmes sources (comme des documents de l’OCDE souvent cités), cependant une erreur de copier-coller permet selon moi de qualifier ces similarités de plagiat.
Le paragraphe « L’amélioration du climat scolaire » commence par une énigmatique lettre « o ». Selon moi, le rédacteur a copié la liste à puce du rapport de Yann Algan qui s’est transformé en « o » dans le texte. Ce comportement est assez fréquent quand on tente de faire des copier-coller.
Les métadonnées qui posent question
Le journaliste Marc Rees l’avait relevé sur Twitter. La date de la dernière modification du document PDF est différente de sa date de création et ces dates sont assez éloignées. Créé en avril 2020, le document semble avoir été modifié deux ans plus tard, en avril 2022. Cela coïnciderait avec les auditions de la commission d’enquête du Sénat sur les cabinets de conseil qui a eu lieu en janvier 2022.
Voici le déroulé des événements :
- McKinsey a été missionné pour l’organisation d’un séminaire début 2020 qui a été reporté en juillet 2020 pour être finalement annulé à cause de Covid,
- la mission de McKinsey a été terminée en juin 2020 et donc le rapport a été terminé a cette date,
- un colloque scientifique intitulé « Quels professeurs au 21ème siècle ? » s’est tenu à distance le 1er décembre 2020 dans le cadre du Grenelle de l’éducation,
- Yann Algan a publié son rapport à la suite du colloque (en 2021 selon les métadonnées du document).
Le problème est que la ministre Amélie De Montchalain a bien déclaré devant la commission d’enquête que le rapport de McKinsey avait été utilisé par Yann Algan et non l’inverse. Le déroulé des événements montre bien l’impossibilité pour McKinsey de s’inspirer du rapport de Yann Algan puisqu’il n’était pas encore écrit début 2020. La mise à jour de 2022 (ou d’autres mises à jour entre temps) du rapport de McKinsey aurait pu permettre d’ajouter des paragraphes, ou bien cela a été fait avec des versions en cours de rédaction du rapport de Yann Algan ?
J’ai réitéré ma demande auprès du ministère de l’Éducation Nationale pour avoir la version du rapport McKinsey produite en juin 2020. Ces documents aurait dû être publiés dès qu’ils ont été produits. Comme toujours, je ne cesserais de demander la transparence et des enquêtes approfondies et indépendantes sur le sujet.
Mise à jour du 16 janvier 2023 :
Au vu du déroulé précis des événements tel que décrit par le Sénat dans leur rapport suite à la commission d’enquête, il semble que Yann Algan a été associé à la prestation du cabinet de conseil McKinsey dès le début. Par conséquent, la piste de l’utilisation de versions en cours de rédaction du rapport de Yann Algan par McKinsey semble plus probable. Il a peut-être même participé à la rédaction du rapport McKinsey, même si cela reste incohérent avec son rôle (dans le « comité de pilotage ») et le fait qu’il n’est censé n’avoir reçu le rapport de McKinsey qu’en juillet 2020.
Le plagiat est pour autant toujours avéré et même s’empire. De nombreux autres paragraphes sont plagiés d’ancien travaux où Yann Algan était co-auteur. J’ai pu remonté jusqu’à 2012 avec la seule phrase « A contrario, les enfants confrontés à un enseignement vertical » prise au hasard dans le rapport.
Utiliser d’autres travaux tel quel, sans citation, même lorsqu’on est co-auteur, reste du plagiat. « Ils reconnaissent les contributions des recherches précédentes et les citent honnêtement. » est-il écrit dans la charte de déontologie de la recherche de SciencesPo, ou même que « Le plagiat est constitué lorsque l’élève a rendu un travail qui ne permet pas de distinguer sa pensée propre d’éléments d’autres auteurs : il peut se caractériser par l’absence de citation d’un groupe de mots consécutifs (à partir de cinq), par la reformulation ou la traduction, par la copie. » dans le règlement de la scolarité de SciencesPo.
Donc, McKinsey et Yann Algan ont tous deux plagié.
15 réponses à “Rapport McKinsey sur le métier d’enseignant : plagiat et platitude”
La chronologie ne semble pas si claire que ça. Il semble qu’il y ait des « proximités » entre les deux sources (et leurs auteurs). Les similarités entre ces deux documents ne relèvent pas réellement du plagiat, mais plutôt de la proximité idéologique des deux documents… C’est d’ailleurs ce qui est encore plus inquiétant !!!
Comme je l’écris, il y a des phrases totalement identiques. Ce n’est pas que de la proximité idéologique. Je n’ai relevé que ces deux paragraphes mais il y en a partout dans le document d’après un logiciel anti-plagiat que j’ai utilisé.
BRAVO pour votre pugnacité….beaucoup de profs comme moi sont scandalisés par ce verbiage et éléments de langage économique hors-sol « Education Nationale »…ça sent le cruel manque de séniorité et expertise de terrain dans cette équipe !
La CADA est trop méconnue par le grand public…avec seulement 1,4 millions de fonctionnement et 17 ETP….on voit que permettre à tous l’accès aux documents administratifs ainsi que la transparence publique n’est pas une priorité!
bravo pour la recherche. on se sent moins seuls pour dénoncer ces vampires de notre argent. cdlt p pascot petit scribouillard qui lutte contre la corruption
Ne lâchez pas
Ce qui vaut 500.000€ n’est pas d’avoir des idées originales ou de faire des alexandrins. Ce qui vaut 500.000€, c’est de former un groupe de travail constitué d’experts pertinents pour trouver les meilleures réponses à un problème donné, le tout signé par un cabinet qui prend la responsabilité de la qualité du rapport.
Il n’y a pas de plagiat si les sources sont citées et au delà de cela, il est recommandé de s’appuyer sur des expertises antérieures pour donner du poids à une analyse/expertise.
Bref, le rapport original mentionne-il les sources?
Dans le rapport McKinsey, Yann Algan est cité une fois mais pour un article de 2013. Dans le rapport Algan, McKinsey n’est pas cité.
[…] Rapport McKinsey sur le métier d’enseignant : plagiat et platitude (blog.davidlibeau.fr) […]
Merci pour votre travail.
Votre article n’est vraiment pas clair, on ne comprend pas bien où vous voulez en venir.
De ce que j’ai compris, vous reprochez à McKinsey d’avoir ajouté à son rapport un an après l’avoir terminé des éléments tirés du rapport de Yann Algan ? S’ils l’ont fait, c’est probablement qu’on leur a demandé non ? Il n’y a pas de raison qu’ils se remettent au travail comme ça spontanément.
Et ensuite Yann Algan est co-auteur de ce rapport mais ne s’est pas auto-cité de ses travaux précédents donc c’est du plagiat selon vous car le rapport est signé McKinsey ? McKinsey et Yann Algan se sont plagiés l’un l’autre alors qu’ils travaillent ensemble au même moment sur le même sujet ? Ca me parait vraiment aller chercher la petite bête. Un rapport de consultant n’est pas une thèse académique.
En passant, Yann Algan n’est plus doyen à SciencesPo comme vous l’écrivez, cela fait plus d’un an qu’il a rejoint HEC Paris.
Je donne les éléments dont je dispose. Si l’article n’est pas clair c’est que la situation ne l’est pas non plus. Non, Yann Algan n’est pas co-auteur du rapport de McKinsey (seulement un article de 2013 est cité de lui dans le rapport McKinsey) et c’est pour cela que c’est du plagiat. Et pour rappel, Yann Algan n’est censé avoir reçu le rapport McKinsey qu’en juillet 2020, après qu’il est censé avoir été terminé, et non avoir participé à la rédaction.
Yann Algan était présenté comme doyen à SciencesPo au moment des faits, mais oui j’aurais pu citer HEC.
Félicitations David Libeau pour votre recherche et ses résultats.
En effet le plagiat est avéré parce que Y. Algan n’est pas – officiellement au moins – auteur / co-auteur du rapport. Les similarités répétées entre des passages du rapport et des passages de différents articles d’Algan, et les passages absolument identiques d’un document à l’autre tendent à confirmer qu’Algan a « collaboré » (pour combien ?) à la rédaction du rapport, ce que la proximité idéologique rend plus que probable.
Une étude universitaire doit citer ses sources selon des normes précises pour en garantir le sérieux et la fiabilité. Mais alors n’est-il pas normal qu’un rapport public, financé par l’argent public, donne aussi des références de documentation fiables et vérifiables ? Cela semble évident. C’est le contraire qui est choquant. Lorsque des rapports sont produits par des organismes publics, sous la direction de personnalités publiques, ils doivent contenir des références et des sources fiables et exhaustives (pas de citation ou de référence sans attribution).
Le recours aux « cabinets de conseil », pratique importée surtout des E-U et du Royaume-Uni, permet d’éviter le cadrage qui doit s’imposer dans les écrits publics, et ainsi de passer des commandes de propagande politique soit à des mercenaires de l’écriture (McKinsey et autres) soit à des auteurs proches idéologiquement. Ici vous montrez qu’on a les deux qui travaillent la main dans la main… et que l’auteur « compagnon de route » du macronisme est aussi probablement un auteur à gages.
Amicalement,
Nacho
Merci de cet « acharnement thérapeutique » à des fins de vérité publique.
Au final, l’impression commune sur ce sujet s’en trouve renforcée : l’argent public finance des organismes privés pour produire de la propagande destinée à renforcer l’idéologie du gouvernement.
Ils n’ont pas non plus cité chatgpt et openAI…
De toute cette affaire on ne voit jamais le côté délirant du fonctionnement des administrations mais toujours la main de grand méchant gouvernement. Peut être que de nombreux témoins ne sont pas des fonctionnaires qui chaque jour depuis des années sont obligés de se taper une hiérarchie de petits chefs incompétents qui demandent aux autres des blabla pour justifier des politiques et des plans qui ne servent à rien. Déjà s’occuper du fonctionnement quotidien serait un progrès mais non il faut aussi faire des politiques et des stratégies avec des gens à tous les étages qui ne sont pas fait pour ça. Mais on va continuer à regarder les dépenses et oublier de voir ce qui coûte vraiment cher : le salaires des fonctionnaires qui ne sont là que pour alimenter la bête à tourner en rond.
Je travaille dans la fonction publique avec un salaire 20% inférieur à ce que j’avais dans le privé il y a quelques années et de très nombreux avantages en moins (impossible de faire un prêt immobilier par exemple).