Pendant toute la pandémie de Covid19, des sites et visualisations de données citoyennes ont été créées. « CovidTracker » est l’un d’entre eux. Il est devenu populaire grâce, notamment, à sa médiatisation. Depuis, le gouvernement et les médias le mettent en avant et l’utilisent comme source souvent au mépris de l’honnêteté journalistique ou du respect du travail des services publics français. Décryptage de ce phénomène.
On l’a tous eu affiché sur notre télévision : « Source : CovidTracker » en dessous d’un graphique, d’une carte ou même de chiffres clés. Même le gouvernement s’est mis a utiliser CovidTracker comme source. Pourtant ce site web ne fait que reprendre les données officielles/gouvernementales concernant l’épidémie de Covid19 et créer des graphiques ou des cartes. Ainsi, la « Source : CovidTracker » est foncièrement fausse ou au minimum réducteur car la source des données est le ministère de la santé et la visualisation provient de CovidTracker. Par honnêteté journalistique, lorsqu’un·e journaliste reprend la visualisation de CovidTracker, iel aurait dû alors indiquer « Données : ministère de la santé, Visualisation : CovidTracker ». Lorsqu’un média fait cette erreur, c’est problématique mais reste dans le champ des erreurs journalistiques communes. En revanche, quand le Premier Ministre fait cette erreur, on est en droit de se demander s’il ne s’agit pas d’un calcul politique et quels sont les tenants et aboutissants d’une telle stratégie.
« CovidTracker » adopté par le gouvernement et les médias
Il est intéressant d’essayer d’analyser le comportement des médias au sujet de CovidTracker. Assez tôt, on a invité Guillaume Rozier (le créateur de CovidTracker) sur les plateau de télévision. Sans refaire une rétrospective précise, Quotidien a été un des premiers, si ce n’est le premier, à avoir invité Guillaume Rozier sur leur plateau en novembre 2020. « L’homme derrière CovidTracker« , comme le titre Quotidien, participe au story-telling fait autour de CovidTracker. Les médias aiment particulièrement raconter l’histoire des initiatives citoyennes. J’avais remarqué ce marronnier lorsque j’avais fait un compteur de signature collaboratif lors du Référendum d’Initiative Partagée sur la privatisation des aéroports de Paris. Plusieurs journalistes m’avaient notamment contactés à ce moment. Ce sont des articles faciles à faire car les citoyen·ne·s lorsqu’iels sont identifié·e·s sont facile à contacter et à convaincre. Cela renforce aussi le rapprochement entre les médias et les citoyen·ne·s et promeut le mythe selon lequel n’importe qui peut devenir « quelqu’un » grâce aux projecteurs des médias. C’est lorsque le ministre Olivier Vérant, lui-même, a déclaré avoir « eu [Guillaume Rozier] au téléphone » que tout s’est accéléré. Les médias ont repris cette petite phrase dont ils sont friands et aujourd’hui le site est utilisé quotidiennement par les journalistes. CovidTracker permet « en un coup d’œil », comme l’écrit le site, aux journalistes comme tout un chacun de consulter et visualiser des données relatives à l’épidémie de Covid19 simplement. Tellement simplement que le gouvernement lui-même utilise CovidTracker. On l’a notamment vu dans la conférence du 25 février 2021 où Jean Castex a présenté ses résultats avec certains graphiques « Source : CovidTracker ». Le gouvernement possède bien ses propres outils souverains en interne et même accessibles au public : le Dashboard Covid19 d’Etalab propose également bon nombre de visualisations. Il choisit pourtant de diffuser CovidTracker, et au passage renie le travail effectué par ses services en ne les créditant pas.
Pour le gouvernement, promouvoir un site citoyen comme CovidTracker a deux principaux bénéfices. Premièrement, ce dernier utilise et partage les données gouvernementales. Diffuser ses données est important pour le gouvernement car c’est en informant les citoyen·ne·s qu’il peut justifier ses décisions. Ensuite, avoir un site citoyen à porté de main lui permet de gagner en confiance auprès de la population. « Ce n’est pas nous qui le disons, c’est un site citoyen indépendant qui le dit ». Et c’est la qu’on peut comprendre pourquoi la confusion faites par les médias peut être bénéfique pour le gouvernement.
« CovidTracker » adopté par les complotistes ?
Lorsqu’on présente CovidTracker comme un site citoyen et comme une source, on alimente une confusion dangereuse sur la réelle source des données selon moi. En omettant de préciser que les données proviennent du gouvernement, et en déroulant le mythe du citoyen héros, les médias induisent en erreur les citoyen·ne·s. Le fait que CovidTracker est présenté comme « citoyen » et indépendant pourrait mettre en confiance les citoyen·ne·s sur les données présentées. On croit nos amis mais on remet en questions les sources officielles, du moins lorsqu’on tend vers le complotisme. Une « source citoyenne », une information provenant d’un pair, pourrait mettre en confiance les spectateur·rice·s. C’est en tout cas une stratégie de communication politique qu’on a déjà vu. Elle a été mise en place par le parti gouvernemental En Marche en créant des faux comptes se faisant passer pour de simples citoyens mais qui étaient bien pilotés par des communicants du parti (c.f. mon article sur « Alain Grand Bernard »). Avec CovidTracker, le citoyen est bien réel mais la stratégie de communication est la même. Un citoyen diffuse les données gouvernementales et se fait le relai bénévole du gouvernement. Les données gouvernementales semblent être solides et une remise en questions n’est pas tant nécessaire : nous n’avons aucune preuve que ces données soient trafiqués, donc par principe il faut les considérer comme non trafiquées malgré le fait qu’on ne possède aucune autre source pouvant le confirmer et ce n’est pas ici le sujet. Cependant, le relai citoyen qu’est CovidTracker est bien une aubaine pour le gouvernement dans une stratégie de communication par le citoyen·ne.
« Ce que [Guillaume Rozier] fait sur la Covid a aidé beaucoup de français, beaucoup d’acteurs de la santé, beaucoup de journalistes à ce que nous puissions mieux comprendre ce qu’il se passait, et c’est en soit un outil politique […] ».
Amélie de Montchalin, Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, 5 mars 2021.
Amélie de Montchalin, lors d’une table ronde organisée par Etalab, admet que CovidTracker est un outil politique. Et Guillaume Rozier surenchérit sur l’utilité de CovidTracker contre le complotisme. Grâce à CovidTracker, le gouvernement touche une catégorie de population qu’il n’aurait jamais pu imaginer atteindre : les complotistes. Ceux-ci sont potentiellement utilisateur·rice·s de CovidTracker puisqu’il serait à leurs yeux un site citoyen et non un site gouvernemental. Cependant, c’est bien là tout le danger. En se substituant aux services publics, CovidTracker peut apparaitre comme « citoyen » et indépendant au premier regard mais il se révèle comme entièrement dépendant des données du gouvernement dans un second temps. Là est le danger, selon moi, de briser la confiance. La plus-value de CovidTracker sur les cartes ou les graphiques est certaine mais pourrait paraitre insuffisante. Si tel est le cas, briser cette confiance pourrait également impacter les médias qui utilisent à tout va CovidTracker comme « source » alors que ce sont bien les données gouvernementales qui sont utilisées au final. Ainsi, les médias sont également responsables d’une tromperie, ici avérée, en indiquant CovidTracker comme « source » même pour des chiffres clés, ce qui me parait déontologiquement très discutable.
Une réponse à “Pourquoi « CovidTracker » a été adopté par le gourvenement et les médias (entre autres)”
Merci pour cette analyse 🙂
Je me posais en effet des questions sur cette plateforme que je voyais mentionnée régulièrement.
Surtout ils pourraient au moins donner son nom de domaine, plutôt que de l’appeler CovidTracker, parce bon il y a le .fr, le .com, le .info… Dans une époque où l’info doit être vérifiée c’est dommage.
(au passage, une coquille : « tout s’est accélérer » -> é)