« Alain Grand Bernard » et « FrenchPolitic » sont deux faux comptes connus qui ont été créé par En Marche. Malgré le fait que le compte @FrenchPolitic ait été supprimé de Twitter, 42 tweets ont été retrouvés sur le web. Avec ces données et d’autres traces encore disponibles sur Twitter, nous pouvons très sérieusement nous questionner sur la légalité du compte @FrenchPolitic lors de la campagne présidentielle de 2017.
Pour rappel, dans un précédent article, j’ai démontré que le compte Twitter et Medium nommé « Alain Grand Bernard » est dirigé par En Marche. Cependant, récemment, Le Monde a publié un article affirmant, grâce au témoignage de Pierre Le Texier en charge de la communication du parti, que le compte @FrenchPolitic était bien un faux compte créé par En Marche pour faire de la propagande. Ce compte a fait parler de lui pour l’affaire dite « Benalla ». Une vidéo censée disculper Alexandre Benalla a été publiée sur ce compte pour être finalement supprimée quelques temps plus tard. Le cheminement de cette vidéo est flou et est apparu comme illégal, mais ce n’est pas le sujet de cet article.
Analyse des réponses à ses tweets
Grâce à une rapide analyse quantitative, j’ai pu déterminer avec une probabilité très élevée que le compte de propagande @FrenchPolitic a enfreint au moins une règle du code électoral. Tout se passe pendant l’élection présidentielle de 2017.
Comme ce compte a été supprimé après la diffusion puis la suppression de la vidéo Benalla, nous n’avons pas accès aux données de ce compte. Cependant, nous pouvons analyser les tweets répondant aux tweets de ce compte. Sur Twitter, lorsque vous publiez un message, vous mentionnez un compte avec le symbole arobase. Le truc c’est que si un message est supprimé, ses réponses, quant à elles, restent en ligne. Ainsi, en faisant la recherche « to:frenchpolitic until:2019-01-01 » sur Twitter, nous pouvons lister tous les tweets répondant aux messages (même supprimés) de @FrenchPolitic.
J’ai réalisé ce petit graphique montrant la somme des réponses aux tweets du compte de propagande @FrenchPolitic, par jour, pendant toute sa période d’activité, soit (en gros) du 1er janvier 2017 au 1er aout 2018. J’ai ajouté trois événements pour contextualiser ces données. En rouge, on voit la campagne présidentielle, où il y a la plus grande activité (on y reviendra). En vert, on voit le moment où Thomas Guénolé a partagé mon article sur le faux compte Alain Grand Bernard. Et en bleu, l’affaire Benalla.
Une première observation intéressante que l’on peut faire est la grande période d’inactivité entre la campagne présidentielle et le partage de mon article par Thomas Guénolé. Il n’y a eu aucune réponse entre ces deux événements. Le second événement a été comme un réveil du compte. Mais concentrons-nous sur la campagne présidentielle.
Sur ce second graphique, j’ai zoomé sur la période de la campagne présidentielle de 2017. Les deux zones rouges représentent respectivement les 1er et 2nd tours de l’élection présidentielle. Ainsi, nous pouvons très clairement voir une grande activité du faux compte lors de la campagne présidentielle, avec un début aux alentours du 29 mars. Entre les deux tours, en revanche, il n’y a eu presque aucune réponse donc presque aucune activité (pas besoin de communiquer c’est déjà gagné face à Le Pen, sûrement). Mais le plus grave arrive.
Nous pouvons clairement voir que le 22 avril 2017 et le 23 avril 2017, respectivement jour de la veille du scrutin et jour du scrutin, il y avait pas mal de réponses et donc d’activité. Or, selon l’article L49 du code électoral : « A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale. ». C’est la période dite « de réserve ». Ainsi, les tweets publiés par le compte de propagande @FrenchPolitic à cette période sont illégaux. L’article L89 du même code prévoit une amende de 3750€.
Le compte @FrenchPolitic est un compte créé lors de la campagne présidentielle par les équipes d’En Marche. Cela n’est pas, à ma connaissance, illégal (même si ça devrait l’être, selon moi). En revanche, le fait de communiquer de la propagande au moment du scrutin est bien illégal. A ce sujet, « la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle a saisi le procureur de la République, en application de l’article 40 du code de procédure pénale, de tous les agissements contraires aux dispositions du code électoral qu’elle a constatés sur les sites internet et les réseaux sociaux ».
Quels étaient les tweets du compte @FrenchPolitic ?
Un des tweets les plus connus de ce compte est celui partageant une vidéo censée, si ce n’est disculper Alexandre Benalla, au minimum « l’aider », comme le dit Pierre Le Texier dans l’article de Le Monde.
Le compte @FrenchPolitic a été supprimé peu de temps après la publication de cette vidéo. (Le compte que l’on voit actuellement en ligne sur Twitter est un autre compte vide qui squatte le nom.) Malgré cela, nous pouvons trouver des traces d’anciens tweets de ce compte.
Divers sites font des archives des messages populaires sur Twitter. Le but pour eux est de se faire référencer par les moteurs de recherche et d’ajouter plein de pub autour des contenus à la mode. Peu de site ont encore des tweets du compte @FrenchPolitic, mais je suis parvenu (un peu par hasard) à en trouver deux : Scoopnest et Twicsy. Le second site semble répertorier uniquement les tweets qui contenaient des images, alors que le premier semble se concentrer sur les tweets populaires. Au total, c’est 42 messages que nous pouvons récupérer. Vous prouvez télécharger l’intégralité des données dans ce fichier CSV que j’ai spécialement créé.
Nous remarquons dans ce fichier pas mal de tweets presque identiques et publiés de façon très rapprochée. Mais nous pouvons également avoir un des possibles tweets publiés pendant la période de réserve (le jour et la veille du scrutin du premier tour, le 23 avril).
Toutes ces données nous montrent que ce compte, qui a été créé par les équipes d’En Marche pour faire de la propagande mais sous une identité dissimulée, aurait pu également tomber sous le coup de l’article L97 du code électoral, mais cette loi a été promulguée le 22 décembre 2018 sous l’impulsion du Président de la République. Pour rappel, « Ceux qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter, seront punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros. ». De même, l’article L163-2, portant sur « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne », peut également potentiellement s’appliquer mais concernant les élections législatives. (Le droit est un peu complexe, il faut se référer au II de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel pour avoir les articles du code électoral qui s’appliquent). Mais cet article n’entraine qu’un retrait du contenu. On notera aussi l’article 27 de la loi de 1881, mais la qualification de fausse information reste à éclaircir.
Maintenant que faire ? Deux choses :
- Dénoncer cette fraude dans la presse,
- Et pourquoi pas monter un dossier pour intenter une action en justice (sachant que le juge électoral du Conseil Constitutionnel ne peut être saisi que par les candidats à l’élection présidentielle et sous un délai de 48h, pour l’élection présidentielle, et sous 10 jours par les électeurs, pour les législatives, mais le droit pénal pourrait s’appliquer. C’est donc pour l’instant une action peu envisageable).
Pour aller plus loin, Médiapart a consacré un article sur le sujet.
Affaire à suivre…
Edit du 28 mars : ajout des tweets récupérés, suppression de la demande à Twitter (Le Monde a indiqué dans son article que « Twitter ne possède plus aucune donnée sur [@FrenchPolitic] »). 17h : modification de l’heure du tweet partageant la vidéo (12h59 et non 3h59) suite au message de @VadHande sur Twitter et après vérification.
Edit du 10 avril : ajout d’un référence à l’article de Médiapart et précision sur la loi avec l’article de l’avocat Vincent Brengarth publié sur Politis.