Il y a un an jour pour jour a été lancé le RIP (Référendum d’Initiative Partagée) contre la privatisation d’ADP. Si les 4,7 million de signatures n’ont pas été finalement récoltée – ce qui n’est pas vraiment une surprise vu que ce seuil est impossible à atteindre – cette procédure inédite a fait émerger plusieurs problématiques démocratiques. Analysons les réussites et les échecs.
Faisons donc le bilan, calmement. Pourtant il y a de quoi s’énerver. Les impaires démocratiques ont été nombreux et ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’état n’a exercer de contre pouvoir face au ministère de l’Intérieur. Ce sont, nous, citoyen·ne·s qui, au final, se sont le plus montré critique face aux outils doublement techno-démocratiques (technologiques et technocratiques). Je me suis personnellement impliqué en créant un compteur collaboratif et en intervenant dans la presse sur les problèmes du site du RIP.
La veille de la date butoir, tel un étudiant rendant une copie médiocre, le Conseil constitutionnel a rendu une série de décisions à propos de la procédure de Référendum d’Initiative Partagé. En effet, les citoyen·ne·s avaient le maigre pouvoir de déposer des réclamations et des recours quand celles et ceux-ci estimaient que le ministère de l’Intérieur ne rendait pas le service public démocratique nécessaire au bon déroulement de la procédure du RIP. J’ai moi-même déposé quelques réclamations et recours. Celles et ceux-ci ont été, bien sûr, tous et toutes rejeté·e·s. Mais il est intéressant de laisser les traces de la défaillance de l’État.
Même si les décisions du Conseil constitutionnel sont des rejets, j’ai obtenu plusieurs victoires. Grâce aux compteurs de signatures citoyens et à l’action de Paul Cassia, nous avons réussi a obtenir la publication régulière du nombre de signatures récoltées pendant la période de recueil. Plusieurs failles de sécurité ou la découverte de la publication de seulement une partie des soutiens (à cause d’un problème de listage des noms de famille) ont été résolus grâce à mes alertes sur Twitter et dans la presse. On a même pu (en un sens) prouver la mauvaise volonté du ministère de l’Intérieur lorsque ceux-ci ont bloqué la page permettant de lister l’intégralité des noms que j’avais découverte. Mais une victoire qui est un peu passée inaperçue car elle est intervenue en catimini vers la fin de la période de recueil, c’est la suppression d’Incapsula/Imperva et donc du captcha Google du site. Cette décision est pourtant très intéressante.
Historiquement Imperva/Incpasula est une solution technologique américaine de sécurisation et d’antispam web. Le ministère de l’Intérieur a signé un contrat avec cette société pour sécuriser ses services web. C’est pour cela qu’elle s’est retrouvée sur le site du RIP. Elle a ajouté les systèmes anti-robot (captcha) de Google et des messages d’erreurs sur certaines requêtes. Récemment, on l’a aussi vu apparaitre de façon plus dissimulée sur le formulaire permettant d’obtenir une attestation de sortie Covid19. Ce service est donc toujours utilisé par le ministère de l’Intérieur. Pourtant il est très critiquable. D’une part, il y a des arguments de souveraineté numérique puisque l’entreprise est basée aux Etats-Unis mais aussi de protection de la vie privée. En ajoutant ce service et le captcha de Google, toutes les personnes qui ont essayé de déposer une signature pour le RIP ont dû utiliser le captcha et donc ont transmises leur adresse IP à Google. Il est extrêmement problématique que le ministère de l’Intérieur oblige les citoyen·ne·s français·e·s a utiliser le captcha de Google. Avec la récupération d’IP, ceux-ci pourrait très bien faire du fichage politique et revendre ces données. Si vous étiez connecté à votre compte et avez donné votre consentement à Google, alors ceux-ci ont très bien pu enregistrer et vendu cette information. J’ai déposé une réclamation puis un recours en décembre 2019 sur ce sujet. Le Conseil constitutionnel a rejeté en bloc mais uniquement parce que ce système a été supprimé du site ! Dans la décision n° 2019-1-5 RIP, il est indiqué que « le dispositif informatique contesté par le requérant a été supprimé par le ministère de l’intérieur le 10 février 2020 ». Par ceci, le Conseil constitutionnel indique que le captcha de Google a été supprimé. Cela montre bien qu’il était problématique au final.
Outre cette victoire, il y a aussi pas mal d’échecs. Un des principal a été mon attaque au Conseil d’État du décret n° 2019-578 du 12 juin 2019 modifiant le décret n° 2014-1488 du 11 décembre 2014 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Soutien d’une proposition de loi au titre du troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution ». Comme je n’ai pas tout de suite vu ce décret (trop occupé à créer le compteur collaboratif de signatures, je n’ai pas pu attaquer le décret dans les deux mois suivant sa promulgation. Ce décret signé la veille du début de la période de recueil des signature pour le RIP d’ADP a été signé par Emmanuel Macron. Il modifie de façon substantielle la façon dont sont vérifiées les signatures. Avant les bases de données de l’INSEE était utilisées et le gouvernement à décidé en dernière minute d’utiliser le REU (Répertoire Électoral Unique). Ce décret peut très bien être lu comme une tentative d’obstruction de la procédure démocratique. Impossible de dire si cette solution est meilleure ou, au contraire, a rendu la signature plus compliquée, mais il est alarmant de voir que le gouvernement peut modifier les outils démocratiques numériques sans que personne ne dise rien.
Dans mes réclamations faites auprès du Conseil constitutionnel, il y avait certes des problèmes techniques (comme le captcha de Google ou l’utilisation du REU) mais aussi des problèmes pour le dépôt en mairie ou consulat. J’ai personnellement constaté une irrégularité sur le dépôt d’un soutien en mairie. Lors de ce dépôt, le respect de la durée légale d’enregistrement n’avait pas pu être respectée puisque notre soutien avait mis plus d’un mois et demi a être enregistré au lieu des 48 heures légales. Malgré l’irrégularité flagrante, le Conseil constitutionnel n’a pas jugé bon de le qualifié comme tel. Lors de la décision sur la réclamation, il m’a même demandé sur certains sujets que j’apporte moi-même les preuves alors que dans ces réclamations je demandais des documents administratifs communicables pour justement constater les irrégularités (documents qu’il a refuser de me transmettre). Et c’est là que repose la principale critique à faire sur le RIP : l’opacité sur la mise en place de la procédure.
Dans sa décision n° 2019-1-6 RIP, le Conseil constitutionnel a finalement jugé qu’il était « à bon droit » de refuser ma demande de communication de documents administratifs. Le Conseil constitutionnel fait donc preuve de manque de transparence à visage découvert mais il n’est pas le seul. Depuis le début de la procédure du RIP, j’ai demander la communication d’un certain nombre de documents administratifs au ministère de l’Intérieur notamment. Je ne vais pas faire le détail ici, mais sur l’ensemble des documents demandés, je n’en ai reçu qu’un : les plans fonciers que possède le groupe ADP. Et même pour ces documents, j’ai dû faire une saisine à la CADA après refus tacite qui s’est soldé par une transmission plusieurs mois après. Pour tous les autres documents, j’ai également fait des saisines à la CADA qui sont toujours en cours d’instruction et qui vont fêter le premier anniversaire dans quelques mois.
C’est aussi pour ça que ce bilan a un goût de « pas terminé ». Un an après, le dossier RIP ADP n’est pas clos. J’attends toujours des réponses de la CADA. Si ces informations n’arrivent pas, cela pourrait être jugée comme une violation de la Convention européenne des droits de l’homme (que je saisirais). Si les avis sont favorables et que j’obtiens les documents que je souhaite, ils pourront révéler beaucoup d’informations et de potentielles irrégularités. Affaire à suivre…