J’ai lancé il y a une semaine Camerci.fr, un site permettant de récupérer les vidéos des caméras de surveillance qui nous filment. Mais quels sont exactement les droits des personnes filmées par ces caméras ? D’où vient exactement ce droit d’accès ?
Partagé sur les réseaux sociaux et dans la presse, je dois dire que le site Camerci a rencontré un certain succès. Créé en un week-end, sa simplicité d’utilisation tranche avec le formulaire de la préfecture de police de Paris que j’ai dû utiliser pour faire une demande début février. Il était impossible de faire une demande pour plusieurs caméras, et il fallait retrouver les références de la caméra et copier-coller son identifiant technique et son adresse. Beaucoup d’étape qu’il est pourtant facile d’automatiser.
En utilisant les données ouvertes de la préfecture de police de Paris, j’ai pu créer une carte interactive avec toutes les caméra et facilement générer un email pour faire une demande d’accès. Alors qu’elle avait commencé par accepté ces demandes, quelques jours après le lancement du site la préfecture de police de Paris refusait les demandes par email et renvoyait les personnes vers le formulaire. Elle a également communiqué qu’il n’était possible que de visionner les vidéos sur place et non d’avoir des copies. Retour sur les dispositions législatives en vigueur et leur historique.
Un droit créé en 1995
Avec les jeux olympiques 2024, la vidéosurveillance revient dans l’actualité puisque les autorités veulent « expérimenter » la surveillance algorithmique. Un projet de loi est en discussion au parlement. Mais la vidéosurveillance ne date pas d’hier mais de 1995. La loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité a introduit bon nombre de dispositions dont le droit d’accès que nous évoquons depuis le début de cet article.
Dans un esprit d’équilibre entre atteintes aux libertés publiques et droits des citoyens, le parlement de l’époque a consenti à introduire un droit d’accès. Les personnes intéressées peuvent consulter les enregistrements vidéo des caméras ou vérifier que ces derniers sont bien détruits après 30 jours.
Pendant le débat de la loi de 1995, la CNIL prévenait déjà que le droit d’accès serait très limité puisqu’à l’époque les techniques de floutage ou masquage de vidéo n’était tout simplement pas développées rendant donc potentiellement impossible l’accès aux vidéos de caméra de surveillance où d’autres personnes apparaissaient ! Devant le Conseil constitutionnel, députés et sénateurs dénonçait un « droit dont le caractère fictif n’échappera à personne ».
Information nominative versus vidéosurveillance
Pour comprendre pourquoi nous avons un droit d’accès dédié pour la vidéosurveillance, il faut regarder comment a été construit la loi. En 1978, la loi informatique et libertés est votée créant la CNIL. Il créer aussi la notion d’information nominative. Cependant, en 1995 le parlement décide que la vidéosurveillance ne rentre pas dans le régime de l’information nominative.
Avant que la loi de 1995 soit votée, la CNIL s’estimait compétente à traiter le sujet de la vidéosurveillance en prenant une définition large de la définition d’information nominative. Le législateur en a décidé autrement en excluant la CNIL de la vidéosurveillance. A la place, il a été créé des commissions départementales.
A l’inverse de la CNIL, les commissions départementales ne sont pas indépendantes et ne dispose d’aucun pouvoir de sanction. En plus, la formulation de la loi laisse penser qu’il n’est pas possible d’effectuer un recours auprès d’une commission départementale si le responsable d’un système de vidéosurveillance refuse une demande de droit d’accès. La Cour des comptes dénonçait aussi il y a quelques semaines le fait que le préfet de police de Paris était à la fois membre de cette commission et responsable d’un système de vidéosurveillance. Heureusement depuis la loi de 1995, la compétence de la CNIL a été réintroduite.
Et le RGPD dans tout ça ?
Depuis 1995, la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité a été codifiée avec le Code de la sécurité intérieur mais aucune modification n’a été apportée, sauf la réintroduction de la compétence de la CNIL. Suite à l’adoption du RGPD en 2016, cette loi poussiéreuse n’a pas bougée.
Le RGPD n’a pas repris la notion d’information nominative de la loi informatique et libertés mais a opté pour celle de donnée personnelle. Cette définition plus large permet de facilement englober la vidéosurveillance. L’EDPB (la CNIL européenne) l’a bien compris en publiant début 2020 des lignes directrices sur le sujet.
Ainsi, nous pouvons très facilement confirmer qu’avec le RGPD, il est bien possible d’obtenir des copies des enregistrements vidéos de la plupart des caméras de surveillance qui nous filment. J’ai mis en avant sur le site Camerci.fr l’article L253-5 du Code de la sécurité intérieure plus par chauvinisme qu’autre chose.
La Cour des comptes et la CNIL sont toutes les deux d’accord pour unifier les régimes. Et c’est ce que s’apprête à faire le législateur pour la loi dédiée aux Jeux Olympiques de 2024. Le projet de loi actuellement en discussion au parlement supprime le droit d’accès conféré par l’article L253-5 du Code de la sécurité intérieure. Il restera RGPD et loi informatique et libertés.