Très récemment un site web nommé « SolidTube » a été mis en service. Celui-ci se présente comme une « Plateforme au service du créateur », comme une alternative, anti-censure, à YouTube. Il donne trois grands principes « La liberté d’expression », « La décentralisation » et « L’indépendance économique ». Cependant, en y regardant de plus près, on se rend compte que cette communication est fallacieuse, autant au niveau de la présentation comme du contenu et du service proposé. Explication de ce qu’est réellement SolidTube.
Principe général
SolidTube n’est pas une plateforme de publication de vidéo. Nous ne pouvons pas mettre en ligne de vidéos sur le site. Nous ne pouvons que publier des publications de vidéos faites sur d’autres plateformes. Le service est donc un simple agrégateur de vidéos.
Novlangue
Comme le montre cette capture d’écran, SolidTube se présente comme « Décentralisé ». Outre la description en novlangue incompréhensible de ce principe, SolidTube est bien un seul site web, qu’on ne peut répliquer et auto-héberger. Le but même du service est de centraliser les canaux de publications. Ainsi, c’est bien le total opposé d’une plateforme décentralisée.
Sur fond de défense de la vie privée, SolidTube indique qu’on « Reste proprétaire de nos données ». Cependant, avec « garantir votre liberté de créateur », il est précisé donc ensuite que cela ne semble s’appliquer que pour les « créateurs ». Plus grave, on apprend que « Un simple bouton permet de récupérer un fichier contenant toutes les adresses emails de vos abonnnés. ». Ainsi, il semble impossible de s’inscrire sur la plateforme, en tant que simple utilisateur·rice spectateur·rice, sans que nos adresses courriel soient transmise aux vidéastes. Outre le caractère illégal de ce consentement forcé à la divulgation de données à des tiers, il ne s’agit, en outre, pas de « vos données » comme indiqué (c.f. capture d’écran). De plus, la récente loi sur la protection des données personnelles oblige les organisation à la portabilité des données. Ainsi, si SolidTube permettrait (hypothétiquement) de télécharger ses données personnelles, cela serait une disposition obligatoire au vu de la loi, et non un engagement volontaire.
Concernant « l’indépendance » revendiquée par SolidTube. Nous n’avons aucun moyen de vérifier quel est la forme juridique de l’organisation, son système économique ou, par exemple, que la plateforme ne vend pas les données personnelles de ses utilisateur·rice·s à des tiers car aucune Mentions Légales ne le précise (c.f. ci-après, partie Mentions Légales).
Ludification
Nous remarquons également trois « rangs » ou classification des chaines. Les « Ambassadeur Solid.Tube » (avec un joli badge), les « Chaine officielle » et les autres, qui non rien. Outre l’argument mercatique de ces badges (je vois déjà le mail, « si vous rejoignez la plateforme maintenant, vous allez avoir un badge Ambassadeur trop cool ! »), ludifiant la plateforme en gratifiant les vidéastes pour être parmi les premiers à avoir leur chaine sur SolidTube, on remarque que des chaines comme Norman fait des vidéos, Cyprien, Squeezie, Golden Moustache, Le joueur du grenier ou encore Antoine Daniel, Wankil studio, et j’en passe… n’ont ni badge « Officiel », ni badge « Ambassadeur ».
Vol de chaînes YouTube
En voyant de nombreuses chaines YouTube très populaires sur SolidTube (Norman fait des vidéos, Cyprien, Squeezie, Golden Moustache, Le joueur du grenier, Antoine Daniel, Wankil studio, etc.), on peut soit croire que toutes ces personnes et organisations ont intégré SolidTube de leur plein gré. Et ainsi, on peut croire que c’est alors une plateforme reconnue et donc super cool ! Ou alors on peut comprendre que toutes ces chaines ont été dupliquées sans l’accord de leur propriétaire, uniquement pour que SolidTube paraisse populaire et utilisé…
Mentions légales
Chose très préoccupante, aucune Mentions Légales ni Conditions d’Utilisation du site web n’est disponible. Outre le caractère légal problématique, sans ces mentions légales, nous ne pouvons pas savoir quels sont les engagements légaux sur la propriété des données et des créations, notamment. Ainsi, il est très risqué pour les vidéastes de mettre leur contenu sur des plateformes sans mentions légales. En tout cas, la CNIL va aimer ça…
Code informatique
Au niveau du code du site web, on remarque déjà que celui-ci n’est pas ouvert en open source. Ainsi, nous ne pouvons et pourrons vérifier des possibles promesses tenues sur la vie privée (même si actuellement aucune communication n’a été faite sur le sujet par SolidTube). En revanche, nous pouvons observer de nombreuses requêtes sur des sites tiers, et même sur… Google ! Un comble pour une alternative anti-YouTube…
En plus de cela, le site web utilise des iframes. Une technologie web HTML qui permet d’intégrer des sites web dans des sites web (comme Inception). Outre le caractère désuet et non accessible de cette technologie, la menace pour la vie privée est d’autant plus grande. Cependant, c’est la menace pour la pérennité de SolidTube qui est également en jeu. En effet, en utilisant les iframes, le site se repose ainsi sur les pages intégrées et donc sur ces services. Pour faire simple, demain, YouTube, Vimeo, BitChute, Dailymotion ou Rutube (les services actuellement pris en charge pas SolidTube) peuvent unilatéralement, en toute légalité, interdire à SolidTube d’utiliser les iframes pour intégrer leur site web. C’est totalement possible est c’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec Qwant, une alternative au moteur de recherche Google, lorsque ceux-ci avaient expérimenté « Qwant music », un service permettant de rechercher des clips musicaux et des les faire jouer directement dans Qwant. Google avait remarqué cette activité et avait bloqué les iframe YouTube sur Qwant. Donc, SolidTube promet un service anti-censure individuel, alors que la censure va se produire collectivement pour tout le site web. La solution technique n’est donc pas pérenne du tout.
Conclusion
Si la solution technique n’est pas pérenne et que les fondateur·rice·s connaissent les risques (ce qui est vraiment le B.A.BA du développement web), on peut alors se demander quelle est l’intention des fondateur·rice·s en proposant un service qui va, à coup sûr, échouer dans sa forme actuelle ? Une des réponses possible peut être la création d’une nouvelle dépendance des utilisateur·rice·s à un service centralisé, dans le but de changer, dans un futur plus ou moins proche, l’objectif et les conditions d’utilisation pour quelque chose de beaucoup moins acceptable…
SolidTube est, de mon point de vue, bien une arnaque communicationnelle. Une arnaque communicationnelle avec sa novlangue imprécise, fausse ou, du moins, invérifiable. Une arnaque communicationnelle sur sa qualité d’alternative, SolidTube reposant, à court terme, sur les services de YouTube. Et surtout, une arnaque communicationnelle sur le contenu délivré, avec de nombreuses chaines YouTube tout simplement dupliquées et volées sans l’autorisation des vidéastes.
Alors que faire ?
- Exiger des status, des Conditions d’Utilisation et des Mentions Légales claires et précises (précisant notamment la déclaration CNIL de la base de données).
- Demander une ouverture du code, pour vérifier la sécurité et l’application des conditions d’utilisation, et permettre la modification, pour ne pas utiliser les services de GAFAM qui ne respectent pas les objectifs/principes du site.
Ou sinon, il existe PeerTube. Un projet d’alternative à YouTube, réellement décentralisé, avec un code source libre (et donc open source), qui protège vos données personnelles (garantie sans tracker de GAFAM, par exemple). Je vous le précise, car dans les vidéos des créateurs qui présentaient SolidTube, ils affirmaient qu’il n’existait aucune autre alternative à YouTube… Donc, voilà ! 🙂
3 réponses à “SolidTube, une arnaque communicationnelle… solide ?”
Intéressant
et ca c’est quoi ??
https://solid.tube/legal
C’est nouveau.