En pleine campagne électorale des législatives, Emmanuel Macron a reçu à l’Elysée ce vendredi 3 juin des personnalités de l’esport français dont le streamer Zerator juste avant sa Trackmania Cup qui avait lieu à Bercy. Cette demi-heure d’échanges au Palais a été diffusée sur les réseaux sociaux (sur la chaine officielle de l’Elysée) mais l’événement était organisé par l’association France esports, un mélange des genres république-privé qui pose question.
Derrière le pupitre floqué « France esports » deux présidents : celui de l’association éponyme et celui de la république française. C’est un coup de communication gagnant-gagnant auquel nous avons assisté ce 3 juin dernier. Macron a pu apparaitre sous de bons auspices auprès des jeunes et l’association France esports a pu approcher le pouvoir à deux ans des jeux olympiques. Mais qui est France esports ?
Lancée en 2016, déjà avec l’aval du gouvernement de l’époque, l’association France esports a pour objet de « développer, promouvoir, encadrer la pratique des sports électroniques » comme l’indique ses statuts. Fondée principalement par des sociétés ou associations du milieu de l’événementiel gaming, les éditeurs de jeux vidéo ne sont pas en reste puisque le SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) et le SNJV (Syndicat national du jeu vidéo) y sont présents. Ces syndicats (sic) se sont largement illustrés dans la défense des intérêts des grosses entreprises du secteur. France esports suit cette voix en se faisant adouber par un autre syndicat patronal qui n’est autre que le MEDEF qui les a d’ailleurs invité en Arabie Saoudite fin mai pour un événement autour du tourisme et du divertissement.
Revenons au 3 juin 2022. Il y a tout de même un mélange république-privé qui pose question dans cette réception. Premièrement il est important de noter qu’outre les personnalités de l’esport, l’événement a rassemblé le président Macron, l’ancien secrétaire d’Etat chargé du numérique Cédric O mais aussi des ministres en exercice. Celles-ci ne se sont pas exprimé car les ministres sont soumis à une période de réserve à l’approche des élections législatives. Ensuite, l’événement a bien eu lieu dans le Palais de l’Elysée mais n’est nullement organisé par la présidence de la république mais par l’association France esports. La société Cidexport l’a confirmé sur Twitter se ventant d’avoir fourni le matériel informatique.
Laisser le soin à un organisme privé l’organisation d’un événement pour représenter ses propres intérêts dans un lieu officiel est franchement limite niveau déontologie. Pour preuve, si cette réception aurait été organisée non pas à l’initiative de la présidence de la république à l’Elysée mais à l’initiative d’un député à l’Assemblée Nationale, elle n’aurait pas respectée le règlement de cette dernière. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé il y a quelques mois lorsque le SELL (encore lui) a organisé un colloque dans les locaux de l’Assemblée Nationale avec le député Denis Masséglia.
Du lobbying en veux-tu en voilà
Entre deux petits fours ou deux références mal placés de Macron, les invités ne se sont pas privés de plébisciter voir demander des mesures. « Y’avait des gens qui étaient là pour bien gratter comme des requins », tweet d’ailleurs le streamer Zerator. Pas étonnant lorsqu’on connait les liens qu’entretien l’association France esports avec les institutions. Elle a notamment reçu 30 000€ de subventions du ministère des sports comme le montre cette convention signée fin mars 2022… mais pour la période septembre 2021/aout 2022. L’association mène surtout des actions de lobbying auprès de différentes institutions ou personnels politiques. Par exemple, lors de la présidentielle, France esports a envoyé une feuille de route à tous les candidats à l’élection.
J’ai pu relever dans des documents internes quatre principales mesures que l’association souhaite faire adopter.
- Le VISA « passeport talents » pour l’esport qui implique du lobbying à mener auprès du ministère des affaires étrangères et du ministère de l’intérieur.
- « Ouvrir les vannes » sur la législation autour de l’organisation de tournois en ligne notamment sur la vérification de l’âge des participants.
- La modification du droit du travail pour le CDD esportif avec notamment un renouvellement illimité de ces contrats souvent d’un an, l’exonération de charges pour les gains des compétitions, etc. Un compte-rendu du groupe de travail « Droit et législation » indique également que « L’objectif de la rédaction du CDD est d’éviter cette requalification [en CDI]. ».
- Et pour finir, une réduction de taxe à 5,5% de TVA sur la billetterie des événements d’esport qui a déjà fait l’objet d’un dépôt d’amendements (rejetés) lors du projet de loi de finance 2021 et 2022 grâce au député Denis Masséglia (oui, le même député que pour le colloque du SELL).
Certaines de ces actions de lobbying peuvent être intéressantes mais on notera déjà la coloration libérale des propositions qui, sans surprise, sont en concordance avec les positions du SELL, du SNJV et du MEDEF. Mais ce qui est plus problématique est que beaucoup de ces actions ont été menées en totale illégalité. En effet, en consultant le registre des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), l’association France esports est bien inscrite mais n’a déclaré aucune action de lobbying malgré l’obligation légale prévue par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. A régulariser auprès de la HATVP.
Mise à jour du 15/06/2022 : Le 10 juin dernier l’association France esports a déclaré une action de représentation pour 2021 auprès de la HATVP.