L’UX, pour « User eXperience », est l’étude du vécu des utilisateur·rice·s dans l’utilisation d’un produit numérique ou physique. Comment l’utilisateur·rice expérience un produit et comment résoudre les potentielles frustrations vécues. Cependant, cette définition et son application stricto sensu élude, pour moi, les impacts multiples de ces produits. Vers une définition de l’UX environnemental.

Lorsque j’écris ces lignes, je suis dans un train. Et je trouve que les modes de transport sont un parfait exemple pour illustrer cette idée d’UX environnemental. Mais avant cela, j’aimerais définir le concept d’impact environnemental car ici il ne s’agit nullement d’écologie, ou du moins pas seulement. L’environnement comprend ici certes la nature, tout comme elle inclut la culture et donc la société. Par environnement, il faut entendre l’ensemble des conditions naturelles et culturelles externe à un individu (ou à une population). Mais prenons un exemple, revenons à l’exemple du train où je me trouve actuellement. Si on étudie de façon classique l’expérience de l’utilisateur·rice du train, on pourra trouver comme observations la propreté du train, la température à l’intérieur du train, le temps de trajet et les potentiels retards, si les sièges étaient confortables, si la nourriture servie était bonne, etc.. On pourra même avoir des observations concernant l’embarquement (un concept, l’onboarding qui est d’ailleurs utilisé aussi pour les applications numériques) : est-ce que la gare était accessible, est-ce que trouver le train était aisé, etc.. Pour obtenir ces informations, il est souvent demandé à un·e utilisateur·rice de prendre un train. Des observateurs discrets ou invisibles analyseront les actions de l’utilisateur·rice, parfois ses signaux physiologiques grâce à des capteurs cardiaques, par exemple, mais les analystes UX récolteront également des données qualitative en demandant à l’utilisateur·rice de réponse à un questionnaire, par exemple. Grâce à cette étude de l’expérience utilisateur·rice d’un voyage en train, on pourra, par exemple, avoir comme résultat que l’affichage de la voie du train en gare est faite trop tard et que cela ajoute du stress de devoir se presser pour monter dans le train et de l’attente en gare inconfortable. Ou bien, un autre exemple, que le service en wagon bar est long et que le déplacement en wagon bar est fastidieux et décourageant. L’analyse UX pourra, avec ces observations préconiser ou contraindre (suivant son pouvoir décisionnel) l’affichage de la voie en gare au moins 20 minutes avant le départ, par exemple. Ou encore proposer un service de commande et livraison de repas ou boissons en train. Le but général de l’UX ici étant d’améliorer les futures expériences de l’utilisateur·rice.

L’UX, c’est le bien ?

L’UX est très souvent définie comme l’amélioration de l’expérience utilisateur·rice. En opposition, on retrouve souvent les dark patterns, ces astuces de conceptions qui se font au dépend de l’utilisateur·rice pour l’intérêt du concepteur·rice. Si on reprend l’exemple du train, on pourrait interdire toute boisson et nourriture à l’entrée du train, sans raison valable si ce n’est que les utilisateur·rice·s seraient alors obliger d’acheter des boisons ou de la nourriture dans le train. Si cette vision de l’UX est très répandue, cela reste néanmoins une lecture manichéiste des choses. L’UX apporterait des solutions qui améliorent : le bien ; alors que les dark patterns détériorent : le mal.

La relation entre UX et design

Je viens d’introduire le concept de dark paterns sans même parler design. La conception et l’expérience utilisateur·rice est très lié. Le premier utilise le second dans ses choix et ce, dans un jeu de ping-pong. Phase 1 : on conçoit notre produit (design), phase 2 : on teste notre produit auprès d’utilisateur·rice·s (UX), phase 3 : on ajuste notre design, phase 4 : on refais la phase 2, jusqu’au moment où on décide que notre produit est près à la commercialisation. La relation entre UX et design est très forte. L’analyse de l’UX est censée influencer/guider le design. Mais bien souvent, le design reste libre de suivre où non les préconisations de l’équipe UX. C’est d’ailleurs une des grandes frustrations de l’UX : ne pas être écoutée. J’ai entendu mainte fois des testeurs UX dirent, après la sortie d’un produit et lorsque les critiques arrivent : « On ne faisait que de le répéter aux designers mais celleux-ci n’en faisait rien ! ». Relation compliquée…

Le champ d’action de l’UX

Ce qui m’intéresse le plus au sujet de l’UX est son impact et plus précisément son champ d’action. J’ai beaucoup de fois entendu un responsable de l’UX d’un jeu vidéo connu répondre face aux critiques sur le système économique de son jeu que l’UX n’avait rien à voir avec le système économique du jeu. Pour moi, ce responsable de l’UX du jeu n’a rien compris à ce qu’était réellement l’UX ou, tout du moins, à une définition très limitée de l’UX qui la rend caduc. Si les utilisateur·rice·s se plaignent d’avoir une mauvaise expérience du produit, peut importe la raison, elle doit être étudiée par l’UX même si les causes sont externes ou internes au produit. Ici, c’est à cause du prix à débourser pour pouvoir jouer et même plus précisément du système de monnaie virtuelle à acheter (avec de l’argent réel) pour pouvoir jouer. Or le système économique d’un jeu est bien obligatoirement passé par la phase 1 décrite plus haut : la conception. Si l’entreprise a exclu l’équipe UX d’étudier la conception du système économique, il choisit intentionnellement de réduire le champ d’action de l’UX. Dans cet article, je souhaite justement proposer des pistes pour élargir le champ d’action de l’UX pour en faire un UX environnemental.

Qu’est-ce que l’UX environnemental ?

L’UX environnemental serait l’étude de l’impact d’un produit sur les utilisateur·rice·s lorsqu’ils interagissent avec le produit, les conséquences a posteriori de l’interaction avec ce produit et de l’impact de ce produit sur son environnement. Par cela, j’entends la prise en compte de tous les impacts externes au produit. Il s’agit ici de ne plus simplement étudier le produit et l’expérience des personnes qui l’utilisent mais également de l’expérience de personnes qui ne l’utilisent pas, qui en sont sont peut-être victimes directement ou indirectement, et même de l’impact sur d’autres parties-prenantes qui peuvent être très variées (la nature, la société, certaines organisations ou institutions…). Par exemple, un algorithme peut être utilisé par des personnes pour prendre une décision qui va impacter d’autres individus. Un site web peut avoir un impact politique car il peut être utilisé pour des enjeux communicationnel (faire une visualisation de données pour démontrer un fait, ou encore créer un outil qui détourne un site gouvernemental — c’est ce que j’ai fait avec le compteur collaboratif des signatures du RIP).

Si on reprend l’exemple du train, le prix du billet devrait faire parti du champ d’action de l’UX. Pourtant, il est difficile d’imaginer dans une société capitaliste que le prix soit fixé selon les désirs des utilisateur·rice·s. Certes, on peut trouver des exceptions où certaines entreprises évoquent les questions économique dans les focus groups (groupes de discussion avec des utilisateur·rie·s) mais le commercial a toujours le dernier mot. L’UX environnemental doit aussi s’intéresser aux conséquences sociétales. Quel impacts à le train sur la société ? Il désenclave, il démocratise le transport longue distance, il permet de sociabiliser ? Par exemple, les premières classes dans un train peuvent impacter la mixité sociale et accroitre les guerres de classes (comme son nom l’indique). Et l’UX doit aussi couvrir l’impact sur la nature. Est-ce que le train pollue ? Est-ce ses infrastructure ont des impacts sur la faune et la flore ? Tout ces champs d’action doivent être étudié par l’UX et pour tous les produits. Un jeu vidéo a aussi des impacts environnementaux qu’ils soient sociétaux ou écologistes. Ainsi, un jeu peut avoir des règles, des graphismes, un gameplay super, mais cela peut être gâché par un système d’achats en jeu par micro-transactions. On comprend tout l’enjeu de délimiter le champ d’action de l’UX de façon large pour qu’il prenne le pas sur d’autres disciplines. Les chercheur·euse·s en UX ont une forte responsabilité sur l’impact global du produit, selon moi. Cependant, il ne faut pas que l’UX deviennent un prétexte pour justifier une conception : l’UX est une science imparfaite et peut être utilisée par la communication comme épouvantail.

L’UX comme épouvantail

Récemment, Facebook a utilisé l’UX pour justifier une action judiciaire à l’encontre d’un développeur qui, grâce à une extension pour navigateur, permettait aux utilisateur·rice·s de supprimer tout ses abonnements Facebook. Dans ce cas, il y a clairement un conflit entre certains utilisateur·rice·s et le but mercantile de Facebook. Ce réseau social monétise le temps passer à parcourir les messages posté dessus. Grâce aux fonctionnalités de défilements infinis, l’utilisateur·rice peut passer des heures à lire des informations inutiles pour trouver les pépites d’information qui lui est utile. Ces récompenses aléatoires c’est ce qui augmente la rétention. En permettant de reprendre le contrôle et n’avoir que des informations utiles car les producteurs sont sélectionné par l’utilisateur·rice, Facebook perd de l’argent même si l’expérience de ces utilisateur·rice·s sont améliorés. Pourtant Facebook attente une action judiciaire en indiquant que cela détériore l’UX. Ici, c’est clairement un épouvantail permettant à Facebook de ne pas remettre en cause sa conception.

Le méta-design

L’exemple de Facebook pose aussi la question de l’impact politique. En reprenant l’exemple du train, nous sommes en droit de questionner l’impact politique du train, le train dans notre société, par exemple en le comparant à d’autres modes de transport. Ici, il est clairement plus écologique que l’avion, mais la question est plus une question de méta-design : l’UX doit-il remettre en question l’existence même du produit ? Beaucoup de praticiens de l’UX ne remettent pas en question l’existence du produit, tout simplement parce que techniquement s’ils le font, ils perdent leur emploi. Va dire à ton chef dans ton entreprise que le site web qu’on construit est nocif. L’UX environnemental essaye d’augmenter le champ d’application de l’UX jusqu’à remettre en question l’existence du produit. Au minimum au niveau des fonctionnalités, il ne faut plus se demander « comment faire pour que l’expérience soit bonne ? » mais « est-ce que cette fonctionnalité est nécessaire et, si oui, comment l’améliorer ? ». Je croise beaucoup de personnes qui ne comprennent pas lorsque je propose, entre plusieurs options, de supprimer la fonctionnalité. Oui, lorsqu’on conçoit un produit, la suppression doit être une option. Il ne s’agit pas d’une haine ou même d’un désir de destruction mais simplement d’une possibilité qui doit être étudiée comme toutes les autres options. Grâce à ça, j’espère qu’on se retrouvera avec moins de startups bullshit qui proposent un produit totalement inutile mais vendable grâce au marketing.

L’UX universel existe-il ?

Le mot « User » dans « User eXperience » ne prend pas de « s ». Pourtant, essentialiser la diversité des potentiels utilisateur·rice·s d’un produit en un simple et unique « utilisateur » me semble très problématique. Nous avons chacun·e des désirs et des besoins propres. Un produit, quel qu’il soit, enferme et réduit ces besoins en une unique solution. Le design universel tant à concevoir pour tout le monde. C’est un sujet très important. Les personnes en situation de handicap sont souvent oubliées par bon nombre de ces produits inaccessibles. Dans tout cela, quel est le rôle de l’UX ? Dans les organisations, l’accessibilité est déjà une prérogative de l’UX. Cependant, l’UX généralise les besoins « des utilisateur·rice·s » alors qu’on se base sur des études représentants bien souvent que le besoin de certains utilisateur·rice·s. C’est une autre problématique de l’UX en tant que science. La représentation est bien souvent biaisée ce qui conduit à des choix basés sur de fausses hypothèses. L’UX environnemental nécessite d’autant plus d’attention qu’il va se confronter à d’autant plus d’inconnus. Mon opinion est que même si la tâche est grande, il faut surtout savoir dire « je ne sais pas » au lieu de conclure.

Conclusion

Concluons, justement par dire « je ne sais pas ». Je ne sais pas si ma tentative d’élargissement du champ de l’UX, pour un UX environnemental, est juste ou même judicieuse. Je lis beaucoup de chose sur l’UX qui me paraissent à 1000 lieux de la réalité. Comme quoi l’UX serait « le bien ». Comme quoi les chercheur·euse·s en UX serait au service des utilisateur·rice·s alors que, rappelons-le, ceux-ci sont embauchés et payés par des entreprises à objectifs de rentabilité et de monétisation. Pour finir, quand je lis que la 5G va perturber les mesures météorologiques, je me dis qu’il y a un besoin urgent à intégrer ces enjeux dans la conception de ces produits et que la prise de conscience soit générale sur ces questions.