(4/4) Dans cette série de quatre articles, nous décortiquons les relations entre le cabinet de conseil McKinsey et les pouvoirs publics à travers des documents inédits provenant des archives ou plus récents. Cet article révèle des décisions du gouvernement prises après le passage de McKinsey.

Après s’être attardé sur les marchés publics et leur coût, puis sur le contenu des rapports, intéressons-nous dans cet article à l’influence de McKinsey sur les décisions du gouvernement.

Avant de poursuivre, il est important de noter que mesurer l’influence d’un cabinet de conseil tel que McKinsey est une tâche assez compliquée. On ne sait pas vraiment qui influence qui : si l’idée provient du gouvernement qui l’a soufflé au cabinet de conseil ou si c’est l’inverse. Dans le rapport de l’Inspection générale de l’administration cité dans les précédents articles, le cabinet indique que « l’efficacité de leur contribution était liée davantage à la recherche d’un consensus sur le changement qu’à la recommandation de structures et méthodes nouvelles élaborées de l’extérieur ». Cela pencherait pour un rôle de tiers, médiateur, entre les politiques (qui prennent les décisions) et les fonctionnaires (qui les subissent).

Il est tout de même noté « une participation active au processus de prise de décision ». McKinsey parle directement aux ministres : le rapport de l’Inspection l’affirme et on peut trouver des rapports McKinsey estampillé « Réunion avec le Ministre ».

Les rapports produits McKinsey sont parfois assez vague et ne fournissent que quelques préconisations, mais certains sont bien plus concrets. Le rapport « Permettre à l’administration centrale de bien gérer le changement » de mars 1973 (toujours dans la mission du ministère de l’Éducation Nationale plusieurs fois citée dans les articles précédents) fourni un mode d’emploi pour mettre en place une réforme.

Pour mesurer l’influence supposée de McKinsey, il est intéressant de chercher des décisions du gouvernement prises à la suite du passage du cabinet de conseil.

Le dossier d’archive révélateur

Il est particulièrement difficile de trouver des décisions du gouvernement qui suivent les conseils de McKinsey. Pour ce faire, il faut à la fois avoir les rapports McKinsey, repérer les conseils qu’il contient, et chercher les projet de lois, décrets, arrêtés ou autres décisions du gouvernement qui contiendrait les propositions de McKinsey. Chose pratiquement impossible.

Heureusement, les archives peuvent nous aider, mais sans même devoir les lire. En effet, les archives sont constitué par dossier. Lorsqu’un fonctionnaire doit archiver ses documents, il archive le dossier entier. Grâce à cela, il est possible de retrouver des rapports McKinsey ainsi que les décisions que le gouvernement à pris suite aux rapports ! C’est rare, mais possible.

Nous pouvons retrouver des décisions du gouvernement prises suite à des rapports McKinsey surtout dans les archives du Secrétariat Général du Gouvernement. Le SGG est le réacteur nucléaire du gouvernement. Très central, tous les dossiers passent par lui.

C’est comme cela que j’ai pu retrouver dans les Archives Nationales un dossier (sous la côte 19840559/112) qui contenait les documents suivants :

  • « Rapport de la société Mac Kinsey : rapport préliminaire de la société Mac Kinsey 1, décembre 1972 ; plan et documents de travail, réunions, 1973 ; rapport d’étude de l’inspection générale du ministère de l’Education Nationale sur le prix de revient du marché passé avec la société Mac Kinsey, mai 1974. »
  • « Projet d’arrêté (1973) relatif à l’organisation de l’administration centrale du ministère de l’Education Nationale. »
  • « Elaboration des décrets d’organisation (1974) puis de réorganisation (1975-1976) du secrétariat d’Etat aux Universités. »

Vous reconnaitrez le rapport sur le prix de revient du marché de l’Éducation Nationale que j’ai cité à plusieurs reprises dans les précédents articles. A la suite des rapports McKinsey, on retrouve un projet d’arrêté et des décrets sur l’organisation de l’administration centrale du ministère de l’Éducation Nationale. Le lien est clairement établi.

L’histoire se répète

Il y a quelques mois, en octobre 2023, j’ai repéré des rapports produits par McKinsey en 2022. Le marché public portait sur l’élaboration d’un « Plan économies budgétaires liées aux achats pour des opérateurs » pour le Ministère de l’économie. J’ai demandé d’obtenir une copie des rapports, comme le permet le droit d’accès aux documents administratifs. Le ministère m’a transmis de nombreux documents exclusifs : 22 rapports en tout.

Parmi ces documents, j’ai pu identifier au moins une mesure proposée par McKinsey qui a été suivie par le gouvernement. Dans le document « Plan achat de l’État sur le volet des opérateurs, Diagnostic de l’établissement public du Centre National des Œuvres Universitaires et Scolaires (CNOUS) », j’ai pu identifier que McKinsey propose « d’étendre le périmètre d’intervention de la centrale d’achat du CNOUS ».

Sur le fonds, plusieurs arguments sont avancés qu’on ne va pas détailler ici (slides 51 et 52 du document). Sur la forme, les consultant ont écrit « Notre préconisation : lancer dès à présent la démarche d’extension sans attendre la phase 2 du PAE ». Ainsi, il est conseillé d’aller vite et de ne pas attendre la phase 2 du plan. En effet, ces livrables concernent la première phase sur trois phases.

Comme vous pouvez vous y attendre, j’ai retrouvé cette exacte proposition dans une décisions du gouvernement. Plus précisément, c’est dans la loi de finance pour 2024 qu’on retrouve à l’article 239 l’extension du périmètre de la centrale d’achat du CNOUS. Cependant, pas de chance, comme le rapportait l’agence de presse AEF, cette disposition a été jugée non conforme à la constitution (pour cavalier législatif) par le Conseil constitutionnel (paragraphe 140 et suivants de sa décision).

Comme on l’a vu, on peut trouver des décisions prises par le gouvernement suite à des conseils de consultants de McKinsey. En toute logique, ces conseils proviennent de McKinsey : au début des rapports il est d’ailleurs bien précisé que « Les analyses et préconisations qu’il comporte sont celles des consultants. » Mais le marché public est cadré par le gouvernement qui pourrait simplement avoir besoin de ces analyses pour justifier ses décisions.