(2/4) Dans cette série de quatre articles, nous décortiquons les relations entre le cabinet de conseil McKinsey et les pouvoirs publics à travers des documents inédits provenant des archives ou plus récents. Cet article vise à se plonger dans les chiffres de McKinsey.
Lors du précédent article, nous avons vu que McKinsey pouvait conclure des marchés qui ne respectaient pas les règles des marchés publics. Ce qui posait problème était l’absence de mise en concurrence, mais aussi sur le prix fixé par McKinsey qui était plutôt élevé.
Par exemple, le marché de l’Education Nationale cité à l’article précédent était fixé au prix « ferme et non révisable de 1 350 000F ». Le rapport de l’inspection générale de l’administration sur le prix de revient de 1974 pointait un « train de vie » qualifié de « manifestement élevé » du cabinet McKinsey, avec ses 2 284F par jour-homme. Pour référence, en 2022 dans son rapport sur les cabinets de conseil, le Sénat avait calculé un coup de 2 708€ par jour-homme pour McKinsey. Pour donner un ordre de grandeur, selon le convertisseur de l’INSEE qui prend en compte l’inflation, 1F en 1973 correspond au pouvoir d’achat de 1,02€ aujourd’hui. Le coût est donc sensiblement similaire aujourd’hui.
La comptabilité de McKinsey en 1973
Rentrons un peu plus dans les chiffres. Nous avons, grâce à un rapport de la Commission centrale des marchés (un organe de l’administration fiscale), le détail de l’intégralité de la comptabilité de McKinsey en France en 1973.
Tout d’abord on apprend que McKinsey n’avait aucune structure juridique en France. Le bureau de Paris « n’a pas, en droit ou en fait, le caractère d’une filiale autonome », était-il écrit. De plus, McKinsey n’agissait pas comme société commerciale car « son activité est purement libérale ». C’est en tout cas ce qu’avait accepté le Ministère des Finances dans une lettre du 16 mars 1964.
Le chiffre d’affaire de McKinsey en France était en 1973 d’environ 25 millions de Francs dont 3,94 millions traités avec l’administration française, soit 15,6% du total. L’argent public dépensé partait aux Etats-Unis puis revenait au bureau de McKinsey en France. Une part restait aux Etats-Unis : les frais de recherche et de développement, les honoraires rétrocédés, par exemple. Le rapport évoque plusieurs chiffres, 10% à un moment, mais indique que tout cela est impossible à vérifier du fait de l’absence de structure juridique en France.
Le bureau de McKinsey en France compte 65 consultants (3 Directors, 5 Principals, 26 Engagement-managers et 31 Associates). Leurs salaires annuels moyens étaient de 110 000F pour un Associate, 174 000F pour un Engagement-manager, 249 400F pour un Principal et 255 800F pour un Director. S’ajoute à cela des primes pouvant aller jusqu’à 32 000F par an.
Les salaires des consultants McKinsey sont très élevés. « Les salaires et avantages sociaux y sont manifestement supérieur à ceux pratiqués dans des entreprises similaires. », était-il écrit. Le rapport détaille également que sont « pris en charge [les] frais d’hôtel et de restaurant d’un standing élevé ».
On notera par ailleurs qu’aucune organisation syndicale n’est présente. McKinsey n’adhère pas à la convention collective Syntec, puisqu’il n’y a aucune structure juridique en France. En revanche, il est pointé le fait que le cabinet de conseil est une coopérative, sans actionnaires externes, où les consultants les plus gradés peuvent obtenir des parts suite à une cooptation.
Des chiffres difficilement vérifiables
Le rapports de la Commission centrale des marchés tout comme de l’Inspection générale de l’administration donnent de nombreuses informations sur le McKinsey du début des années 1970. Cependant, il reste quelques inconnus.
Par exemple, on peut noter que des 3,94 millions de chiffre d’affaire provenant de l’administration française en 1973, nous savons que 1,35 millions provenaient du Ministère de l’Education Nationale. Il n’est cependant pas possible de savoir d’où proviennent les 2,59 millions restant. Les documents des archives étant incomplets.
On comprend dans le rapport de l’inspecteur que des documents ont été préparés par McKinsey spécifiquement pour son enquête. Il est indiqué qu’ils « n’ont que de lointains rapports, sur le plan formel, avec la comptabilité existante établie selon le système américain ». Le rapport lui-même décrit deux méthodes de calculs qui ne semble pas entièrement satisfaire l’inspecteur.
Du fait de l’absence de structure juridique en France, McKinsey semble avoir créé de toute pièce une séparation entre les Etats-Unis et la France. Les documents indiquent clairement que « certaines catégories de frais, dont les justifications n’existent pas au Bureau de Paris, échappent à toute vérification ». Peu rassurant.
Dans tous les cas, de nos jours des marchés publics sont toujours conclus avec la structure de McKinsey du Delaware (USA) alors même que McKinsey possède depuis une structure en France. Un avis d’attribution de marché public de l’UGAP datant de 2019 le montre. Le parquet national financier a également ouvert une enquête en 2022 à l’encontre de McKinsey pour fraude fiscale.