La réquisition des éboueurs a commencé à Paris suite à la mobilisation contre la réforme des retraites. Après un refus de la maire de Paris, on a appris dans la presse que le préfet de Paris a récupérer les coordonnées des agents pour les réquisitionner. La méthode pose question.

Poubelles à Paris

BFMTV titrait le jeudi 16 mars vers midi que « la mairie a transmis la liste des agents que le préfet de police pourrait réquisitionner ». Cette information pose déjà question car l’usage de conditionnel montre que la réquisition n’a pas encore eu lieu. Pourtant, ce même journal indiquait un peu plus tard dans un autre article que « La préfecture a ainsi émis un arrêté préfectoral sur la question. » Problème, Gérald Darmanin indique le lendemain matin qu’il a « jeudi soir requis le service de la propreté de la ville ».

La temporalité des événements montre que le jeudi midi la réquisition n’était donc pas enclenchée lorsque le préfet récupère la liste de 4000 agents de la ville de Paris qui comporte noms et adresses. J’ai appris d’un agent de la mairie que le préfet a fait valoir la substitution. Une procédure rare et exceptionnelle. Retour sur les dispositions législatives en place en la matière.

Réquisition

Dans le cadre du mouvement social des éboueurs, la réquisition correspond à l’article L2215-1 du Code général des collectivités territoriales. Voici l’extrait en question :

En cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées.

Outre les conditions d’urgence et d’atteinte au bon ordre ou à la salubrité, il est bien précisé qu’il faut un arrêté pour réquisitionner tout bien ou service. Dans le cas des éboueurs de Paris, ce sont leur données personnelles qui ont été transmises à la préfecture. Le problème est qu’il semble difficile de qualifier la liste des agents du service comme un bien. En tout cas cela pose question.

Récemment la CNIL a rappelé les règles en matière de vente de fichier lorsque Camaieu était mis en vente. La CNIL précisait par exemple que cela était possible mais que l’information des personnes était importante.

Dans le cas des éboueurs la situation est d’autant plus complexe qu’il n’y a pas eu d’arrêté de réquisition qu’après la transmission de la liste des 4000 agents de la ville de Paris. Les dispositions du Code général des collectivités territoriales sur la requisition n’ont pas été mises à jour depuis le RGPD et semblent assez obsolètes.

Si on était dans le cadre d’une réquisition, la base de licéité de la mairie de Paris aurait probablement été l’obligation légale. Cependant, un considérant du RGPD sur les réquisitions par les pouvoirs publics sème le doute sur la légalité de l’opération puisque le considérant 31 en question indique que les réquisitions de ce type « ne devraient pas porter sur l’intégralité d’un fichier ».

Si la transmission des données était rentrée dans le champ de ce considérant, cela signifierait potentiellement que la demande de l’ensemble des noms et adresses des agents du service propreté aurait pu poser problème puisqu’on aurait pu considérer qu’il portait sur l’intégralité du fichier. Cela serait resté à l’appréciation de la CNIL comme autorité de contrôle.

Substitution

Pour obtenir la liste des agents du service propreté, le préfet n’a pas fait de réquisition mais a temporairement pris la place et le pouvoir de la maire de Paris pour faire cette exfiltration de données personnelles. Le régime de la substitution est une procédure rare et particulièrement exceptionnelle. Il s’agit de l’article L2122-34 du Code général des collectivités territoriales :

Dans le cas où le maire, en tant qu’agent de l’Etat, refuserait ou négligerait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le représentant de l’Etat dans le département peut, après l’en avoir requis, y procéder d’office par lui-même ou par un délégué spécial.

La veille, la maire de Paris répondait au préfet d’une fin de non recevoir en indiquant au passage que la réquisition était de la compétence de l’Etat. Pourtant, le préfet a bien utilisé la substitution pour prendre le pouvoir de la mairie de Paris avant de lancer la réquisition.

Cet imbroglio juridique est très problématique surtout que pendant ce temps les données personnelles de 4000 agents se baladent entre la maire de Paris et la préfecture dans un flou le plus total. On ne sait plus s’il s’agit d’une transmission de données, si la préfecture est destinataire ou responsable de traitement. La CNIL devrait intervenir sur cette situation inédite qui porte une grave atteinte au droit de grève des personnes.