Lorsqu’on publie une vidéo sur YouTube, un algorithme scanne le contenu à la recherche d’œuvres protégées par les droits d’auteur. Si une œuvre est automatique détectée, cela peut avoir un certain nombre de conséquences. Mais est-ce que l’on peut considérer qu’il s’agit d’une décision entièrement automatisée telle que définie par le RGPD ?
En janvier 2023, j’ai publié une vidéo sur YouTube. Celle-ci contenait une œuvre protégée par les droits d’auteur et l’algorithme Content ID de YouTube qui les détectent a fait son travail et l’a détecté. Cependant, selon le droit français, je ne commettais aucune infraction aux droits d’auteur car mon usage était légitime : ma vidéo était un contenu pédagogique, je faisais une courte citation et j’avais clairement indiqué le nom de l’auteur et la source du contenu tel que dispose l’article 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Heureusement, ma vidéo n’était pas bloquée. L’ayant droit était simplement informé que j’utilisais son contenu mais avait tout de même la possibilité de récupérer la monétisation de la vidéo ou de la bloquer d’un simple clic. En revanche, ma vidéo subissait tout de même un effet collatéral : YouTube bloquait la possibilité de choisir la licence Creative Commons pour la vidéo. Cette licence permet la réutilisation de la vidéo. On parle souvent de licence « libre de droit ». L’interdiction de choisir cette licence lorsque Content ID détecte une œuvre protégée semble être une fonctionnalité voulue par YouTube selon leurs pages d’aide sur le sujet.
Les licences Creative Commons ne peuvent être utilisées que pour du contenu entièrement original. Si votre vidéo fait l’objet d’une revendication Content ID, vous ne pouvez pas la placer sous licence Creative Commons.
Page d’aide de YouTube sur Creative Commons
Le problème étant que selon le droit français, seul l’auteur a la possibilité de choisir la licence de ses œuvres. En effet, l’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle précise que « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. » et que « Ce droit est attaché à sa personne. » et l’article L121-2 du même texte indique que « [l’auteur] détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci. »
L’article 22 du RGPD
Dans le corpus de textes de loi européen et français, nous pouvons trouver des dispositions sur les algorithmes dans le RGPD à son article 22. Celui-ci porte sur les décisions entièrement automatisées et le profilage.
La personne concernée a le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, produisant des effets juridiques la concernant ou l’affectant de manière significative de façon similaire. […]
Extrait de l’article 22 du RGPD
Le droit de ne pas faire l’objet d’une décision automatisée est à interpréter comme une interdiction générale de ce type de pratique. Bien sûr, sont ensuite ajoutées des conditions et des exceptions, qu’on ne va pas détailler ici.
Il est intéressant de noter que cette interdiction des décisions entièrement automatisées ne s’applique que lorsque cela produit des effets juridiques ou affectant la personne de manière significative de façon similaire. Cet article du RGPD vise a empêcher les refus de prêt à la banque, les décisions d’embauches ou autres qui seraient faites de façon automatiques. Cependant, il est intéressant de savoir si la notion floue des « effets juridiques » s’appliquerait à l’interdiction de choisir la licence de son œuvre comme le fait YouTube avec Content ID.
La réponse de Google
Quand on cherche les mots-clés « YouTube » et « article 22 du RGPD », on trouve ce sujet posté directement sur les forums de Google. Un utilisateur demandait si Content ID consistait à une décision automatisée au titre du RGPD. Il n’a reçu aucune réponse. J’ai alors moi-même demandé à Google la liste des décisions entièrement automatisées que j’avais subi en utilisant YouTube. J’ai reçu une réponse automatique me redirigeant vers des pages d’informations de Google. Aucune mention de Content ID n’était présente.
Comme ma demande était une demande d’information fait au titre de l’article 12 et 15 du RGPD, j’ai pu obtenir l’aide de la CNIL qui a appuyé ma demande auprès de Google. Ces derniers ont finalement répondu plus précisément à ma demande d’information.
Selon Google, l’article 22 du RGPD ne s’applique pas à Content ID car le RGPD ne s’applique pas aux vidéos. Celles-ci ne constitueraient pas des données à caractère personnel. La formulation exacte de Google est que « Le contenu ne comprend pas de données à caractère personnel et, par conséquent, ne fait pas l’objet d’une prise de décision automatisée au sens de l’article 22 du RGPD. »
De nombreux chercheurs et chercheuses ont étudié les systèmes tels que Content ID et les implications avec le RGPD (lire Felipe Romero Moreno ou Maria Lilla Montagnan), mais aucun d’entre eux n’a relevé que le RGPD ne serait pas applicable aux vidéos mises en ligne pas des utilisateurs authentifiés sur les plateformes de diffusion de vidéos. A raison car Google indique lui-même dans sa politique de confidentialité que les données personnelles qu’il collecte comprennent « le contenu que vous créez [ou] importez […] via nos services. »
J’ai tout de même fait un nouveau test en mettant en ligne la même vidéo mais en ajoutant une phrase au début et pendant la musique protégée où je décline mon identité et où je donne mon adresse mail. Même avec cela, l’algorithme Content ID n’a pas considéré que le contenu comprenait des données personnelles.
Le choix de Google d’exclure Content ID du champ d’application du RGPD pose question surtout quand l’article 22 du RGPD permet de procéder à ce genre de décisions automatisées avec un simple accord contractuel. Il aurait donc suffit à Google d’indiquer dans les Conditions générales d’utilisation de YouTube que Content ID peut effectuer des décisions entièrement automatisées dans certains cas.