(3/4) Dans cette série de quatre articles, nous décortiquons les relations entre le cabinet de conseil McKinsey et les pouvoirs publics à travers des documents inédits provenant des archives ou plus récents. Cet article est dédié à l’analyse du contenu des rapports McKinsey.

Dans les précédents articles, nous avons vu que les marché publics de McKinsey ne respectait pas les règles et que le cabinet de conseil était très cher. Intéressons-nous maintenant au contenu de ces rapports.

Il existe deux type de rapports McKinsey. Ceux rédigés classiquement comme un document, et ceux en mode présentation, qui sont des diapositives imprimées. Ces derniers sont parfois présents dans les archives, mais ne sont très peu utiles car la présentation orale qui va avec n’a pas été enregistrée.

Il serait très chronophage d’étudier tous les rapports McKinsey, si tenté qu’ils soient tous rendus publics, mais nous pouvons tout de même en analyser quelques-uns.

La précarisation du travail à l’INSEE

Au début des années 1970, l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) est audité pendant de longs mois par le cabinet de conseil McKinsey. Une série de rapports portant sur les conditions de travail et le recrutement sont publiés. « Mieux ajuster les responsabilités et des compétences », « Répondre plus efficacement à la croissance des besoins », « Renforcer la politique du personnel de l’institut » sont quelques exemples de noms de rapports.

Les objectifs du « projet » (comme l’audit est nommé) sont de « définir les moyens d’accélérer l’évolution du fonctionnement de l’INSEE et d’améliorer ainsi sa capacité à répondre aux besoins croissants des utilisateurs ».

La méthode pour y parvenir consiste principalement en de nombreux entretiens avec les fonctionnaires de l’INSEE. Deux cents personnes ont ainsi été interrogés ! On notera que cela constitue déjà un travail conséquent. On retrouve d’ailleurs dans les constats que fait McKinsey de nombreuses revendications des fonctionnaires sur leur conditions de travail, tel que le manque de moyens ou le manque de communication interne. Avec de tels constats, nous ne pouvons qu’attendre des conclusions pertinentes. Les conseils de McKinsey se révèlent pourtant assez déconnectés des constats.

Par exemple, alors qu’il est fait le constat que « une proportion très importante des effectifs reste à de très bas niveau de rémunération (dans la mesure où pratiquement 2/5 des effectifs sont constitués de vacataires) », McKinsey propose de précariser les cadres en permettant leur embauche hors du statut de fonctionnaire avec « une période probatoire d’au moins cinq à six ans » pour que ceux-ci fassent « preuve de leurs compétences et de leur attachement à l’Institut ».

Autre exemple dans la partie « Améliorer les conditions et le climat de travail » du rapport « Renforcer la politique du personnel de l’institut », aucune augmentation des salaires n’est proposé mais plutôt la suppression de la progression « quasi automatique » de la rémunération et de favoriser les primes.

Les prémices de la privatisation de la poste

Dans le rapport « Accroitre l’autonomie des directions générales dans un cadre crédible et efficace » du 21 décembre 1973 pour le Ministère des postes et télécommunication, on peut lire différents arguments pour renforcer l’autonomie de gestion de l’administration. Le cabinet de conseil préconise une « émancipation contrôlée » en prenant l’exemple des pratiques des autres « pays développés au cours des dix dernières années », mais également les transformations d’autres administrations telles que la SNCF, les sociétés d’autoroute ou les carburants (Elf, Total…).

Le cabinet va plus loin en proposant la création d’une « Cellule d’Animation et de Conseil ». Cette cellule qui se veut « sous le Ministre, en position fonctionnelle et non hiérarchique par rapport aux Exploitations » en position « d’arbitre ». « Elle ‘protégerait’ le Ministre en l’aidant à maitriser la dimension technique de ses décisions politiques » est-il écrit. En clair, McKinsey veut positioner un intermédiaire entre le ministère et la direction générale alors qu’avant ces trois entités ne faisait qu’une. Si cet intermédiaire semble constitué de fonctionnaires en interne, il n’en reste pas moins que cela complexifie l’organisation.

Il est difficile de mesurer la qualité d’un rapport 50 ans après sa publication et surtout sans connaitre le contexte et l’organisation de l’administration. En préconisant la découpe des services publics en entité possédant une autonomie de gestion, on pourrait voir ici que McKinsey vise à préparer leur privatisations. Cependant, il est difficile de déterminer si cela est voulu par le gouvernement qui commande ces études ou si l’idée vient de McKinsey. En tout cas, les conseils sont fortement teintés du libéralisme.

McKinsey prend d’ailleurs l’habitude de formuler des conseils qui pousse au libéralisme. Dans le rapport « Permettre à l’administration centrale de bien gérer le changement » de mars 1973, McKinsey utilise carrément le mot de « défonctionnariser » pour le ministère de l’Éducation Nationale.

« Un véritable scandale »

Pour évaluer la qualité du travail de McKinsey, l’idéal serait de pouvoir avoir le retour de l’administration qui a payé pour. Sauf que 50 ans après, cela est compliqué…

Par chance, dans les pages du rapport « Adapter les modes de travail de la centrale » pour la Direction générale des postes, des notes manuscrites y sont glissées. Elle sont vraisemblablement écrites par le directeur général en 1973. Les commentaires sont révélateurs.

« Voulez-vous lire ce document fruit d’une étude pour laquelle nous avons je crois payé 20 millions. C’est un véritable scandale ! Je suis écœuré de voir un tel cinéma qui ne nous apprend rigoureusement rien ! »

Le constat est cinglant. On semble assister a un énorme gâchis d’argent public avec des rapports inutiles qui coûtent des millions (de Franc à l’époque). Cependant, il faudrait d’autres évaluations objectives pour réellement conclure sur la pertinence des travaux de McKinsey.