Alors que le gouvernement vient tout juste d’annoncer une future réforme de l’apprentissage, le dossier de presse du ministère du travail comporte une grosse intox. Il s’agit du point 13 sur un supposé « passage obligatoire et préalable devant les prud’hommes pour rompre le contrat d’apprentissage ». Bien évidemment, toute la presse a repris l’information sans rien vérifier. Alors, à nous de vérifier !
Avant de commencer, je tiens à brièvement me présenter et indiquer pourquoi j’ai remarqué la fakenews dès que je l’ai lue. Je suis David, un étudiant dans le développement web au niveau Master et j’ai fait un DUT puis une Licence Professionnelle en alternance pendant deux ans. Par conséquent, je me suis déjà confronté au monde du travail par l’apprentissage et ai déjà eu connaissance du droit du travail sous un contrat d’apprentissage.
Dans cet article, je ne vais pas relever les nombreuses zones de flou du dossier de presse ministériel (sur l’augmentation de salaire, notamment), ni commenter la communication du gouvernement (sur leurs schémas pages 20 et 22 qui m’ont fait hurler de rire), mais uniquement sur le point 13 du dossier de presse (disponible ici : http://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/dossier-de-presse-transformation-de-l-apprentissage p.13).
Il est indiqué « 13/ Le passage obligatoire et préalable devant les prud’hommes pour rompre le contrat d’apprentissage après 45 jours sera supprimé ». Or, aucun passage devant les prud’hommes n’est obligatoire pour rompre un contrat d’apprentissage. C’est d’ailleurs indiqué plus bas, au bout de la flèche, dans le premier alinéa : « Au-delà de 45 jours en entreprise, la rupture du contrat d’apprentissage nécessite aujourd’hui un commun accord de l’employeur et de l’apprenti ou exige une procédure lourde et longue devant les prud’hommes. ». Par conséquent, le titre accrocheur est faux et le paragraphe explicatif indique bien qu’un simple accord entre l’employeur et l’apprenti suffit.
Dans le code du travail, nous pouvons également retrouver cette information. L’article L6222-18 indique très clairement :
Le contrat d’apprentissage peut être rompu par l’une ou l’autre des parties jusqu’à l’échéance des quarante-cinq premiers jours, consécutifs ou non, de formation pratique en entreprise effectuée par l’apprenti.
Passé ce délai, la rupture du contrat, pendant le cycle de formation, ne peut intervenir que sur accord écrit signé des deux parties. A défaut, la rupture du contrat conclu pour une durée limitée ou, pendant la période d’apprentissage, du contrat conclu pour une durée indéterminée, ne peut être prononcée que par le conseil de prud’hommes, statuant en la forme des référés, en cas de faute grave ou de manquements répétés de l’une des parties à ses obligations ou en raison de l’inaptitude de l’apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer.
On remarque donc que les prud’hommes ne sont qu’une voix secondaire, « A défaut », lorsque les deux parties ne trouvent pas d’accord, pour rompre un contrat d’apprentissage. Ainsi, dans le cas où il n’y a pas d’accord, les prud’hommes sont effectivement les seuls à avoir le pouvoir juridique de rompre un contrat d’apprentissage (et c’est tant mieux car c’est bien leur rôle, de résoudre les litiges). Ensuite, il est indiqué plusieurs informations dont les conditions de rupture : « en cas de faute grave ou de manquements répétés de l’une des parties à ses obligations ou en raison de l’inaptitude de l’apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer ». On notera, à ce propos, que le dossier ministériel pose plusieurs propositions, dans le second alinéa du dossier, mais reprend des dispositions déjà présentes dans le droit français, sur la faute grave et l’inaptitude (« soit pour faute grave ou inaptitude » p.13). Cependant, on remarque quelque chose de plus intéressant, dans la source de droit, c’est la procédure de référé obligatoire pour rompre un contrat via les prud’hommes.
C’est là qu’on voit qu’il y a donc une double intox dans le dossier ministériel. En effet, selon l’article R1455-5 du code du travail sur la compétence de la procédure de référé, il s’agit d’une procédure « Dans tous les cas d’urgence ». Or, le dossier ministériel indique que c’est « une procédure lourde et longue », alors que la procédure en référé est bien plus courte que la procédure ordinaire.
Comme nous l’avons vu, une rupture de contrat d’apprentissage peut tout à fait être faite sans les prud’hommes. Pourtant le gouvernement affirme avec le point 13 des propositions de réforme de l’apprentissage qu’il s’agit d’un « passage obligatoire et préalable ». Je leur conseille personnellement, comme à tous les journalistes qui ont repris l’information sans la vérifier, de lire le code du travail. C’est quand même un passage obligatoire et préalable pour pouvoir gouvernement ou informer… 🙂